vendredi 16 décembre 2011

[Traduction] La sentience: la caractéristique moralement pertinente justifiant des droits fondamentaux

(Traduction de l'essai de Dan Cudahy, avec son accord, "Sentience: The Morally Relevant Characteristic Justifying Basic Rights ")



Dans cet essai, nous examinerons la pertinence morale de la sentience comme caractéristique justifiant le droit fondamental à la sécurité physique (comme défini dans la section suivante), mais d’abord nous devrions parcourir quelques notions préliminaires qui balisent le terrain pour nous permettre de comprendre comment et pourquoi la sentience a de l’importance lorsque nous pensons aux droits des animaux.

Une brève introduction aux droits.

Un droit est un moyen de protéger un intérêt. Les revendications des droits peuvent s’exprimer de la manière suivante : A a le droit de X par rapport à B en vertu de Y. A est le tenant du droit ; X est l’intérêt protégé par le droit ; B est l’obligé ; et Y est la caractéristique pertinente donnant le droit de X (par ex l’intérêt protégé). Nous pouvons également dire que Y est la raison pour laquelle A a le droit de X.

Tout comme il y a beaucoup d’intérêts qui varient largement en degré de relative importance, de crucial à trivial, il y a beaucoup de « droits » qui varient en degré de relative importance en relation des intérêts qu’ils protègent. Un droit, la façon dont le terme est utilisé dans notre société, peut être aussi important que notre droit fondamental à ne pas être torturé ou tué, ou aussi trivial que notre « droit » non fondamental de refuser d’acheter un objet bon marché et relativement sans importance qu’un vendeur nous a mis de côté. Il est dès lors important de faire la distinction entre les droits fondamentaux et les droits non-fondamentaux. Dans Introduction to Animal Rights [1], Gary L. Francione cite le théoricien politique Henry Shue dans Basic Rights [2] pour décrire un droit comme fondamental si « toute tentative de profiter de tout autre droit en sacrifiant le droit fondamental irait littéralement à l’encontre du but, couperait l’herbe sous le pied. » Shue déclare également que « les droits non-fondamentaux pourraient être sacrifiés, si nécessaire, dans le but de sécuriser le droit fondamental. Mais la protection d’un droit fondamental ne pourrait pas être sacrifié dans le but de sécuriser la jouissance d’un droit non-fondamental » car un droit fondamental « ne peut pas être sacrifié avec succès. Si le droit sacrifié est en effet fondamental, alors aucun droit pour lequel il puisse être sacrifié ne peut en réalité être apprécié en l’absence du droit fondamental. Le sacrifice irait alors à l’encontre du but. » [2]

Le droit fondamental le plus important que Shue identifie est le « droit fondamental à la sécurité physique – un droit qui est fondamental, de ne pas subir un meurtre, de la torture, de destruction, de viol ou d’agression. » [2] Comme Francione le dit à la page 95, « si une personne ne jouit pas du droit fondamental à la sécurité, et peut être assassiné à volonté par n’importe quelle autre personne, alors il est insensé de considérer quels autres « droits » elle pourrait avoir. » [1] Bien évidemment, un autre droit fondamental qui est essentiel au droit fondamental à la sécurité physique est le droit de ne pas être la propriété de quelqu’un d’autre ; cependant, le droit de ne pas être la propriété est hors cadre dans cet essai. Je discuterai du statut de propriété des êtres nonhumains et de leur droit à ne pas être une propriété dans un prochain essai.

Sentience définie

La sentience, strictement défini, est la capacité à expérimenter, ou être conscient de, des sensations. Les sensations incluent la peine, le plaisir, la vue, l’écoute, le gout, et l’odorat. Plus largement défini, la sentience inclut l’expérience de soi-même. L’expérience de soi-même qui définit la sentience est émotion – ou basée sur les sens et non-cognitive. Dans cet essai, je parle de sentience dans le sens large qui inclut un sens non-cognitif de soi-même.

La sentience varie souvent en degré. Si nous sommes sous morphine ou sous une substance qui nous rend moins alerte à nos environs, notre sentience n’est pas aussi aigüe que lorsque nous sommes dans un état normal. Par ailleurs, certaines espèces ont des degrés de sentience plus importants par rapport aux sens spécifiques d’autres espèces. Par exemple, les chiens, les cochons, et les ours ont un sens de l’odorat très développé comparé à la plupart des autres espèces, et beaucoup d’oiseaux un sens de la vue comparable.

Les gens demandent souvent si les insectes sont sentients. Je ne sais pas dans quelle mesure ils le sont. La question de délimiter la sentience, particulièrement son degré, est un débat long et difficile et je ne l’aborderai pas dans cet essai. Ce que nous savons de manière certaine est que les oiseaux et les mammifères sont sentients d’une manière et à un degré fortement similaire aux humains ; si bien que toute différence en sentience est moralement immatérielle. Nous avons de bonnes raisons de croire que les autres vertébrés, comme les poissons, les reptiles et les amphibiens sont également sentients à un degré important ; bien que, au plus nous nous éloignons des similitudes biologiques par rapport aux humains, comme dans le cas des insectes, au plus difficile cela devient pour nous de savoir quel est le degré de sentience d’un être ou son expérience.

Un intérêt à la sécurité physique [3]

Fortement relaté à la sentience est l’intérêt d’un être à la sécurité physique. En fait, la seule manière de déterminer si un organisme a un intérêt à la sécurité physique est de se demander si et à quel degré l’organisme est normalement sentient (ou potentiellement sentient). Un arbre est vivant, mais parce qu’un arbre n’a aucun organe sensoriel ou tout autre appareil qui nous permettrait de croire qu’il est sentient, et puisqu’il ne se comporte pas en apparence d’une quelconque manière suggérant de la sentience, nous pensons qu’il est assez évident que l’arbre ne peut pas avoir un quelconque intérêt conscient à la sécurité physique (puisqu’il ne peut expérimenter sa sécurité physique). D’un autre côté, les poulets, les cochons, les vaches, les cerfs, les moutons, les chèvres et beaucoup d’autres êtres nonhumains ont des organes sensoriels et des systèmes nerveux centraux bien développés qui, en plus de leur comportement extérieur consistant à se battre ou à s’envoler lorsqu’ils perçoivent un danger, nous amènent à
savoir, au même degré que par rapport aux humains, qu’ils ont tous un intérêt conscient important à leur sécurité physique.

Donc, il y a un lien fort et évident entre la sentience et l’intérêt conscient à la sécurité physique de manière que, en parallèle à n’importe quel degré de sentience, il y a un intérêt conscient à la sécurité physique ; et en parallèle à n’importe quel intérêt conscient à la sécurité physque, il y a de la sentience.

Retour aux droits

Nous disions que la revendication aux droits peut s’exprimer de manière suivante : A a le droit de X par rapport à B en vertu de Y. Remplissons les termes :

Les êtres nonhumains sentients (A) ont le droit à la sécurité physique (X) par rapport aux êtres humains (B) en vertu de leur sentience (ce qui est virtuellement interchangeable avec un intérêt conscient à la sécurité physique) (Y). Nous devons remarquer, et nous explorerons ça plus en détail dans la prochaine section, que la sentience est la même raison et la seule raison pour laquelle les humains ont le droit à la sécurité physique.

Remplacements non-pertinents pour Y

Les partisans auto-intéressés de l’exploitation animale tentent souvent de suggérer des caractéristiques autres que la sentience pour Y. Comme je l’ai expliqué dans  "Comprendre le point de vue anti-droits des animaux" les partisans de l’exploitation animale démarrent de leur conclusion qu’ils veulent exploiter les êtres non-humains et cherchent de là des « arguments » pour « appuyer » leur conclusion préconçue, auto-intéressée. Donc les partisans de l’exploitation animale choisissent des caractéristiques que seul les humains possèdent pour remplacer Y et insistent sur le fait que le Y choisi (non-pertinent) est la « justification » pour que les humains aient le droit fondamental à la sécurité physique, mais puisque les non-humains n’ont pas ce Y, les non-humains ne possèdent pas ce droit fondamental.

Les objections aux partisans de l’exploitation animale sont évidentes de deux façon, que nous explorerons plus en détail ci-dessous. Premièrement, les suggestions qu’amènent les partisans de l’exploitation animale pour Y sont non-pertinentes par rapport à un intérêt conscient à la sécurité physique. Deuxièmement, les suggestions des partisans de l’exploitation animale pour Y, avec une seule exception, ne sont pas des caractéristiques que tous les humains et seulement les humains ont, et de là elles excluent des millions d’humains de la communauté morale. La seule exception est l’ADN humain, ou l’espèce, en soi ; ce qui est tout aussi non-pertinent en regard du droit fondamental à la sécurité physique que la race ou le sexe, par exemple, le sont en regard de l’intérêt qu’aurait un humain intelligent et curieux à l’éducation.

Déballons la première objection, que les suggestions pour Y sont non-pertinentes. Une suggestion très commune est la capacité cognitive (souvent référencée comme « rationalité » ou « intelligence ». Comment et pourquoi la capacité cognitive aurait un lien avec l’intérêt conscient à la sécurité physique est tellement tiré par les cheveux que ça me parait ridicule, mais je vais jouer le jeu en reconnaissant un certain nombre de faits qui pourraient faire comprendre à l’exploitant auto-intéressé que la capacité cognitive est une voie sans issue pour Y dans ce cas-là.

Le premier fait à reconnaître à propos de la capacité cognitive est qu’elle varie fortement selon l’humain. Certains humains sont plutôt mathématiques, linguistiques, et des génies de logique, alors que d’autres sont fonctionnellement en dessous des chiens, des cochons et des dindes dans leur capacité cognitive, et que le restant d’entre nous se situe quelque part entre les deux. Est-ce que cela signifie que les génies en mathématique ont un intérêt conscient à la sécurité physique plus signifiant que les humains moins dotés ? Non, ils n’en ont pas. Un niveau élevé de capacité cognitive peut nous amener à redouter le futur ou à réaliser que le futur sera ok, mais l’absence d’une telle capacité cognitive peut amener une crainte similaire ou un réconfort, selon la situation. Par exemple, un humain pourrait redouter la possibilité, en temps de guerre, d’être capturé et torturé par l’armée ennemie ou une faction politique, ce qui ne pourrait en fait jamais arriver ; et un animal de ferme secouru, qui fut torturé auparavant, ou un canidé, pourrait craindre ses sauveurs d’un sanctuaire ou d’un refuge pendant plusieurs semaines ou mois, ne sachant pas que ces personnes ne montreront rien d’autre que sympathie et gentillesse envers lui. C’est l’action émotionnelle et sentiente que nous avons en commun avec les non-humains, pas l’activité de raisonnement abstrait, c’est de là que vient notre intérêt à la sécurité physique.

Le second fait à reconnaitre est que les ordinateurs d’aujourd’hui ont des capacités ahurissantes en mathématique et en logique, mais absolument aucun intérêt conscient à leur sécurité physique. Si les exploitants veulent prendre en compte l’intelligence pour Y, alors les ordinateurs de dernière génération, non-sentients et inconscients ont un droit à la sécurité physique (même s’ils ne peuvent expérimenter la sécurité physique) ; et les humains sentients, bien moins intelligents, n’ont pas ce droit.

D’autres suggestions pour Y sont la capacité à revendiquer ou défendre des droits et la capacité associée à en faire autant moralement ; mais encore une fois, ça laisse de côté des millions d’humains au niveau des droits. La capacité à défendre des droits donne éventuellement des droits à quiconque revendiquerait leur « droit » à commettre un génocide, à diriger le monde en tyran, ou tout autre exemple d’une telle absurdité, par rapport à laquelle les gens sains d’esprit seront tous d’accord pour dire que de tels droit n’existent pas. La capacité à retourner le respect du droit fondamental à la sécurité physique ne devient pertinent que si notre propre sécurité physique est immédiatement et réellement menacée ; et si notre sécurité est menacée de cette façon, la capacité de notre agresseur au libre arbitre moral devient non-pertinent de toute manière. Nous sommes excusés, si pas justifiés, de nous défendre contre quiconque, agent moral ou patient moral, menace réellement notre sécurité physique, en utilisant le minimum de force nécessaire, et une telle défense peut signifier de tuer dans certains cas. [4]

La deuxième objection contre les partisans de l’exploitation animale est qu’il n’y a aucune caractéristique, que tous et seulement les humains ont, qui nous différencie des autres espèces en aucune façon moralement pertinente pour un intérêt conscient à la sécurité physique. En fait, il y a un chevauchement continu de toutes les caractéristiques, excepté l’ADN (qui est non-pertinent pour les raisons déjà évoquées), de sorte que, pour toute caractéristique donnée, il y a des êtres non-humains qui possèdent cette caractéristique (ex : intelligence, émotion, sensibilité au plaisir et à la douleur, etc) en plus grande quantité que certains humains.

Il devrait maintenant être clair pour tout lecteur cohérent et raisonnablement intelligent que la sentience est la caractéristique moralement pertinente pour le droit à la sécurité physique. Lorsque nous sommes en position de force par rapport aux autres, le choix d’agir moralement ou non, comme dans n’importe quel cas de morale, est notre choix. Mais la question de ce qui est moral ou ne l’est pas n’est pas notre choix dans des cas si clairs ; et c’est une question de fait moral que les non-humains sentients ont le droit fondamental à leur sécurité physique par rapport aux humains en vertu de leur sentience, peu importe la manière dont nous nous sentons par rapport à ce fait. Des situations de survie pourraient nous excuser de faire fi des droits des autres, mais dans notre exploitation des êtres non-humains à notre ère moderne, rien ne s’approche en quoi que ce soit de la survie.

Cette conclusion inévitable, combinée à notre connaissance moderne de la nutrition végétalienne et des alternatives, implique pour nous une obligation morale de devenir et rester vegan. Heureusement, être vegan est bien plus facile et bien plus délicieux que ce que s’imaginent la plupart des gens. Nous devons juste apprendre les ficelles du métier et développer les habitudes. Après quoi, nous sommes en pilote automatique.

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Notes:


[1] Gary Francione, Introduction to Animal Rights: Your Child or the Dog (Temple University Press, 2000), pages 94 et 95

[2] Henry Shue,
Basic Rights, 2d Ed. (Princeton University Press, 1996)

[3] Bien que les êtres sentients ont un intérêt à la sécurité physique absolue, certaines violations de la sécurité physique sont inévitables, et donc « nécessaires » pour nous tous (ex : accidents de voiture et maladie). Ca n’a aucun sens de parler d’un droit ou de sécurité physique si la violation de la sécurité physique est réellement inévitable. J’ai donc limité la discussion à un intérêt à la sécurité physique lorsqu’elle est protégeable, mais il doit être clair que je veux dire « protégeable » dans le sens strict de ‘protégeable même à un prix très élevé, actuel ou perçu’. Vu la définition de protégeable, il doit être clair qu’environ 99,9999999% des utilisations intentionnelles des êtres nonhumains par notre société violent leur intérêt protégeable à la sécurité physique, et sont donc des violations de leur droit.

[4] Après avoir relu ce paragraphe le jour après l’avoir posté, j’ai décidé que ce n’était pas écrit aussi clairement que ça aurait pu l’être. J’ai clarifié ci-dessous (changements en gras) :

« La capacité à rendre la pareille au respect d’un droit fondamental à la sécurité physique ne devient un problème seulement si notre propre sécurité physique est immédiatement et réellement menacée, puisque si notre sécurité n’est pas réellement menacée, note droit à la sécurité n’est pas violé ; et si cette sécurité est menacée de cette façon, la capacité de notre agresseur au libre arbitre devient de toute façon non-pertinente dans notre réponse. C’est parce que nous sommes excusés, si pas justifiés, de nous défendre contre quiconque, agent moral ou patient moral, menace réellement notre sécurité physique, en utilisant le minimum de force nécessaire, et une telle défense peut signifier de tuer dans certains cas.


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