lundi 19 décembre 2011

Never let me go

Ce week-end, j’ai eu l’occasion de visionner un très beau film, « Never let me go », qui raconte l’histoire de 3 enfants parmi d’autres, éduqués dans un établissement qui semble déconnecté de la société, dans un cadre idyllique.

Ils reçoivent une éducation de haut niveau, vivent en communauté et sont dans l’âge de l’insouciance. Mais on leur a appris qu’ils ne doivent surtout pas dépasser les limites de l’établissement car le monde extérieur est cruel et ils pourraient être tués. Ce serait déjà arrivé.

Un jour, un de leur professeur, arrivé depuis peu, pris de scrupules, décide de leur révéler que leur existence est en réalité déjà toute tracée, programmée : ils ont été mis au monde pour être donneurs d’organes, ils ont apparemment été clonés et serviront de donneur en cas de problème avec leur modèle « original ».

Les enfants apprennent la nouvelle avec stupeur et tristesse mais sont encore trop jeunes pour se rebeller contre ce système.
On les retrouve quelques années plus tard et on ne peut qu'éprouver de la peine et de la tristesse pour ces jeunes adultes, victimes de ce monde injuste : les donneurs ne survivent pas longtemps après un don. Certains vivent jusqu’au 3e don mais ça ne va pas plus loin. 

Ils et elles sont des marchandises. Une fois que le don est nécessaire, ils doivent s’y plier et risquer de mourir afin que l’original puisse continuer à vivre. Ils n’ont pas de futur, ils n’auront jamais d’enfant, ils n’auront jamais de famille. La société en a décidé autrement. En soi, leurs conditions de vie ont été bonnes, ils ont reçu une bonne éducation, leur cadre de vie est beau. Ils ont eu une belle vie, avant de mourir.

Ce film tragique m’a immédiatement fait penser au problème actuel du mouvement des droits des animaux.

Je vois mal toute personne décente vivant dans cette société fictive (et pourtant totalement plausible), souhaitant protester contre l’utilisation pure et simple de ces êtres humains sensibles, voulant vivre, éprouvant des émotions comme tous les autres (tout comme les animaux nonhumains), protester contre la qualité des vêtements qu’on fournit aux donneurs, contre le manque de verdure dans leur cadre de vie, demander que leur mort soit la moins douloureuse possible, revendiquer leur droit à pouvoir vivre dans un appartement spacieux avant leur mort. Car en protestant de la sorte, on ne remettrait jamais en cause leur statut de « marchandise », d’objets de rechange pour leur modèle jugé supérieur, on ne remettrait jamais en cause leur utilisation.

Bien sûr que non. Si nous étions réellement contre l’utilisation de ces humains, nous demanderions l’abolition pure et simple de cette pratique, quand bien-même elle serait courante dans notre société, quand bien-même ils aient une belle vie avant de mourir suite au don, quand bien-même cela durerait encore longtemps. Nous demanderions à ce que cela cesse, même si cela voudrait dire d’arrêter de mettre au monde ces donneurs. Nous ne nous battrions par pour le bien-être des donneurs, nous nous battrions pour leur droit fondamental à vivre, sans être utilisé, sans être considéré comme des propriétés.

Le mouvement welfariste actuel ne revendique pas l’abolition de l’utilisation des animaux nonhumains, il tente simplement de réglementer leur traitement, ce qui reviendrait dans le film à réglementer la mise à mort des donneurs, à demander à ce qu’ils aient droit à aller au cinéma, à manger de la glace ou à avoir une véranda. Et à donner des prix aux exploitants. Je répète, on a des groupes de "protection animale", de "droits des animaux" qui décernent des prix aux exploitants d'animaux pour leur traitement "humain". Dans le film, cela reviendrait à ce qu'une société de défense des droits de l'homme décerne un prix à un établissement de clonage ou à un chirurgien pratiquant l'opération avec le moins de ratés possibles.

Ou alors, dans le cas du mouvement neo-welfariste, on éduque le modèle original et la société par rapport à ce problème tout en lui expliquant en parallèle que s’il ne compte pas se passer de cette pratique (supposons que cette pratique ne soit pas nécessaire car généralement, s’il y a greffe d’organe cela est, à ma connaissance, indispensable), et bien il pourrait alors demander à ce que son donneur ait les meilleures conditions de vie possible. Ce qui revient à envoyer le message qu’on peut être un receveur consciencieux, à partir du moment où l’on veille à ce que son donneur ait eu la meilleure vie possible.

Mais le donneur ne veut pas mourir. Il veut vivre, tout simplement. La pratique reste immorale et doit être abolie.

Dans cette société, les militants ne devraient jamais envoyer le message que l’on peut être un receveur consciencieux, ils ne devraient jamais manifester pour que les donneurs aient plus de verdure dans leur cadre de vie, pour qu’ils aient droit à un bel appartement avant de mourir. Car militer pour ça, c’est marquer son accord sur le fait que les donneurs ne sont que des marchandises. Ce n’est que retarder l’abolition sous prétexte que les donneurs actuels ont besoin d’être aidés maintenant et que leurs conditions de vie doivent être aussi bonnes que possible.

Si d’un côté on éduque le receveur, le modèle original et la société sur l’immoralité de cette pratique mais que d’un autre côté on lui explique implicitement qu’il y a un moyen plus « humain » de traiter son donneur et que c’est ok de continuer cette pratique tant que c’est fait humainement, le message est totalement confus et les chances que la société change sont anéanties.

Et c’est exactement ce que fait la grande majorité du mouvement pour les « droits des animaux ». Il ne milite pas pour leur droit à la vie, il ne milite pas pour l’abolition pure et simple de cette pratique, il milite pour leur bien-être, pour leurs conditions de vie. Il ne demande pas l’abolition pure et simple de l’esclavagisme, il ne pointe pas le doigt sur le problème de l’utilisation, il s’attaque à la place au traitement. Il ne remet pas en cause le statut de propriété des animaux nonhumains.

Lorsque les défenseurs des "droits" des animaux nonhumains, qui sont la seule voix des victimes animales nonhumaines dans cette société spéciste, vont dans le sens de l'industrie en tentant de la réguler ou font croire au public qu'on peut être un omnivore consciencieux, ils trahissent les animaux, ils trahissent les victimes. Les victimes ne veulent pas avoir une cage plus grande, elles ne veulent pas de prison dorée avant de mourir, elles veulent vivre, vivre libres, elles veulent que la société cesse de les voir comme des marchandises.

Le message doit être clair : si on est pour les droits des animaux, alors il faut reconnaître que leur premier droit est celui de vivre. S’ils n’ont pas le droit de vivre, militer pour tout autre droit est tout simplement absurde. Le label « humain » est à balayer du mouvement des droits des animaux. Si on fait passer le message au public qu’il est possible d’être un omnivore consciencieux, à partir du moment où les produits animaux consommés proviennent d’exploitations « humaines », les animaux sont les grands perdants de cette équation. Le mouvement actuel des "droits des animaux", en faisant passer ce message, fait du tort aux animaux, ne les aide aucunement. 

Tant que les animaux seront considérés comme des propriétés en regard de la loi, toute réforme de bien-être n’aura aucun effet, aucun, sur leur droit fondamental.

Dans Rain Without Thunder, Gary Francione a énuméré 5 principes si on souhaitait réformer l’industrie pour respecter les droits des animaux : 

  1. Le changement proposé doit constituer une interdiction
  2. L’interdiction doit être constitutive de l’institution exploitante (cad, une catégorie significative de l’activité) 
  3.  L’interdiction doit reconnaître et respecter un intérêt animal non-institutionnel (cad, les intérêts des animaux qui ne sont PAS aussi les intérêts de l’exploitant) 
  4.  Les intérêts des animaux ne doivent pas être échangeables (cad, l’intérêt animal sera exécutoire et ne tiendra compte d’aucun « bénéfice » humain ou droit de propriété) 
  5.  L’interdiction ne doit pas remplacer une autre forme d’exploitation, supposée plus « humaine » (par ex, elle ne doit pas remplacer les cages par une exploitation « au sol » ou un égorgement/étourdissement électrique par une « mort par atmosphère controllée », mais bien éliminer l’activité entière sans remplacement).
Comme il le reconnaît dans son livre, ces 5 principes seraient tellement dévastateurs pour l’industrie qu’ils n’ont aucune chance d’être appliqués dans une société spéciste comme la nôtre. La seule manière d’y arriver est donc via l’éducation végane : il faut que les gens comprennent pourquoi le devenir et comment (et le rester).

Ce n’est que lorsque la société aura une population végane politiquement viable que les animaux pourront être reconnus en tant que personnes et que des lois pourront être prises en ce sens.

D’aucune manière, aucune, les lois sur le bien-être animal ne s’approcheront d’un semblant de droit fondamental significatif pour les animaux et de l’abolition de leur statut de propriété. Peu importe le nombre de réformes de bien-être qui sont prises, cela restera toujours de l’esclavagisme pur et simple et les animaux n’auront aucun droit fondamental.

Tout cela sans mentionner le problème des campagnes ciblées du mouvement neo-welfariste et welfariste, très bien expliqué dans cet article de Dan Cudahy.

A lire également : Partenaires dans l'exploitation

2 commentaires:

  1. Je ne connais pas ce film, mais merci pour ce très bon résumé. La comparaison avec le welfarisme est en effet très pertinente !

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  2. C'est un très très beau film que je conseille.

    Des scènes très touchantes.

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